juin 2, 2022

Les entrepreneures, oiseaux rares de l’innovation ?

L’innovation a le vent en poupe dans le Grand Est, depuis quelques années. Subventions, incubateurs et appels à projet, la Région met les moyens pour atteindre les 3% de budget dédiés à l’innovation. Pourtant, une question demeure : où sont les entrepreneures ?

Marie-Odile McKeeney et Bérengère Henrion, sont toutes les deux jeunes ingénieures. Pour elles, pas question de partir travailler pour un patron. Elles l’ont décidé, elles seront entrepreneures dans l’innovation. Leur projet ? : “[…] Développer des jeux de réalité virtuelle à destination des personnes qui ont fait un AVC“, explique Marie-Odile. Pour ces entrepreneures, la réalité augmentée est l’avenir de l’innovation de la santé. Après deux ans de recherche et de développement, leur prototype est au point. En février 2021, elles ont monté leur SAS. Depuis, l’entreprise travaille à plein régime.

Une belle réussite ! Pourtant, trouver des entrepreneures dans l’innovation et dans le Grand Est, c’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin. Dans le numérique par exemple, elles ne représentent que 5% des entrepreneures. Un pourcentage qui diminue dès lors qu’on se tourne vers des secteurs techniques : innovation, bâtiment, mobilité… .

En ce qui concerne la santé, cela reste encore le domaine privilégié par les femmes. “On a peu de statistiques parce que le milieu commence à peine à s’intéresser au sujet de la féminisation. On estime qu’elles [femmes] représentent moins de 10% des entrepreneures de l’innovation, tous secteurs confondus”, annonce Victoria Di Carlo, directrice déléguée de l’association French Tech East. Néanmoins, elles ont une vraie valeur ajouté.

Etre une femme, vecteur d’innovation dans le Grand Est ?

D’après plusieurs études, ajouter de la diversité dans une équipe favoriserait l’innovation. “Pour moi, on travaille en équipe. Il faut de la communication pour faire naitre des idées”, estime Rose-Marie Auclair, co-fondatrice de Woodlight. Une entreprise de plantes bioluminescentes à destination de l’éclairage public, à Strasbourg.

En tant qu’entrepreneures, les femmes seraient comme des moteurs. Elles pousseraient davantage leurs équipes à exprimer leurs idées. Une diversification d’opinion qui entrainerait une dynamique propice à l’innovation. Des inventions qui seraient aussi, plus inclusives et portées sur le bien être commun.

Ce qui n’est pas le cas dans toute l’innovation, comme avec les Airbags qui provoquaient davantage de mortalité chez les femmes et les enfants ou encore Siri, incapable de répondre à des questions sur l’avortement à ses débuts. Le point commun de ces innovations ? Leurs créateurs sont des hommes. Un orientation genrée, de plus en plus reprochée à ce secteur.

Manque de femmes, une épine pour l’innovation

Dans le Grand Est, sur 451 brevets déposés en 2021, seuls 4,5% l’ont été par des femmes (contre 70% par des hommes). Un pourcentage qui tend à remonter à 20% quand il s’agit d’équipes mixtes mais qui chute à 0,3%, pour des équipes composées uniquement de femmes.

Pourtant, les entrepreneures tirent leur épingle du jeu. Si elles ont tendance à avoir des entreprises au développement moins spectaculaire, elles sont davantage vecteurs de richesses. “Pour chaque dollar investit dans une entreprise innovante dirigée par une femme, le bénéfice est de 0,78 euros. Un homme, lui, rapportera 0,35 euros par dollar investit”, selon le Boston Consulting Group. Un manque à gagner donc, pour l’économie du Grand Est. Et une réalité statistique qui n’empêche pas les investisseurs de mettre des bâtons dans les roues aux entrepreneures.

De la demande au financement, il n’y a… qu’un gouffre !

Fondateur de Br’Eyes, Jean Massou a pu entendre quelque clichés lors de sa levée de fonds. “On m’a dit que pour débloquer des fonds, les premiers freins étaient d’être jeune et d’être une femme”. Blague ou réalité ? Statistiquement, les femmes ont 2,4 fois moins de chance d’obtenir un financement pour leur projet d’innovation. C’est ce qu’ont démontré des chercheurs de l’Université de Yale. Un blocage confirmé par Victoria Di Carlo, directrice déléguée French Tech East : “Nous avons beaucoup de retour d’entrepreneures qui nous disent qu’elles ont eu des difficultés face à des investisseurs”. Mais qu’est-ce qui bloque ? Une voix trop douce ? Un manque de confiance en soi ?… C’est ce que l’on appelle « Le Gender Gap ». Un biais cognitif inconscient.

A la simple évocation d’un prénom féminin sur un projet innovant, le projet est scruté au peigne fin. Certaines entrepreneures se sont vues être questionnées sur leurs compétences dans les secteurs techniques. D’autres, remises en question sur leur capacité à gérer leur vie privée et leur vie professionnelle. Quand certains investisseurs remettent en doute leur crédibilité, leur investissement ou encore la pérennité de leur entreprise…

Des blocages alors moins importants quand les investisseurs sont des investisseuses. C’est ce que révèle une étude de l’Essec business School, publiée en 2021. A noter qu’encore aujourd’hui, 90% des investisseurs sont des hommes, blancs, âgés de plus de 45 ans… .

Peu d’aides dédiées aux entrepreneures dans l’innovation

La vie privée et l’auto-censure sont donc les premiers blocages pour les femmes qui souhaitent innover. Manque de finance, famille à gérer, le fond du problème se trouve généralement dans la sphère privée.

Aider les femmes à innover veut aussi dire, travailler sur leurs blocages. Sauf que dans le Grand Est, s’il existe pléthore d’aides à l’innovation et des incubateurs en tout genre, les dispositifs transversales et spécifiques ne courent pas les organismes. Une problématique à laquelle les associations du Grand Est tentent de palier. “Il y a Feminatech qui place les femmes dans le Numérique ou encore Femmes et sciences, pour mettre en lumière et accompagner les femmes scientifiques”, liste Victoria Di Carlo, Directrice déléguée de la French Tech East.

Autre problématique, le manque de femmes dans les filières innovantes et les grandes écoles. Les ingénieurs sont les premiers fondateurs de projets innovant. Sauf que les femmes représentent moins de 30% des étudiants. Elles sont ensuite, moins enclines à tenter l’entrepreneuriat innovant par manque de rôles modèles.

Ainsi pour travailler sur cette problématique, des associations comme 100 000 entrepreneurs tentent de sensibiliser les étudiantes à l’entrepreneuriat. Quoi de mieux que l’expérience des entrepreneures de l’innovation pour motiver les jeunes filles à se lancer ?

Précursseuse d’internet ou inventrice du wifi, les femmes ont marqué l’histoire avec leurs innovations. Longtemps mises en arrière plan, elle représentent aujourd’hui un nouvel El Dorado dans le Grand Est. Un moyen de hisser la région au delà de la 102e place au classement des régions européennes compétitives.

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